L’approche de la Toussaint est pour moi l’occasion de vous parler d’un sujet qui m’intéresse particulièrement depuis longtemps.
D’abord parce qu’il nous touche tous, sans exception, et puis parce que son caractère inévitable et très « normal » ne le rend pas moins douloureux : le deuil, qui, étymologiquement, vient d’ailleurs du latin « dolium » qui signifie douleur, chagrin[1] .
Le terme français « deuil » regroupe les différents aspects de cette épreuve ; il désigne à la fois la perte d’un être cher et la douleur qu’elle engendre, tout l’aspect anthropologique et social (les rituels suite au décès, le fait de « porter le deuil »), et le processus psychologique qui suit cette perte[2].
Le processus de deuil peut être décomposé en 5 étapes[3] : Le choc et le déni suite à l’annonce, puis la colère. La personne endeuillée passe ensuite par une phase de négociation au cours de laquelle elle va intérieurement tenter de négocier le principe de réalité avec celui de la perte inacceptable. Cette étape peut donner lieu à des réflexions du type « et si cela ne s’était pas passé comme ça », « et si… » où le proche tente d’imaginer un scénario alternatif à la fatalité qui le touche. Puis vient l’étape de la dépression, où la personne endeuillée se confronte à la réalité de la perte. Bien qu’elle soit très douloureuse et parfois longue, cette étape annonce une belle avancée dans le processus de deuil qui se clôture avec l’ultime étape de l’acceptation.
Ces étapes décrites par Kübler-Ross donnent une idée et posent des mots sur ce qu’une personne endeuillée peut traverser ; elles n’en constituent néanmoins pas un modèle unique et ne sont pas à considérer de manière stricte et rigide. Nous pouvons en effet sauter certaines étapes, pour revenir plus tard à une étape que nous pensions alors résolue. Il n’y a pas de règles, pas de « norme ». Et il y a autant de façons de faire son deuil qu’il n’y a de liens différents.
Au cours de mes lectures sur le deuil, la définition qui m’a semblée la plus juste, probablement parce qu’elle résonne avec mes propres expériences de deuil et parce que je la trouve peut-être moins « théorisée » et plus teintée d’affect que les autres est celle de Christophe Fauré[4]. Pour lui, faire son deuil ne revient pas à oublier. Ni la personne, ni même la souffrance causée par sa mort. Bien au contraire. Faire son deuil est un processus long et douloureux, où, pour avancer, la personne doit accepter dans un premier temps la perte de tout ce qui la liait sensoriellement à cette personne (sa présence physique avec tout ce que cela implique, à savoir sa voix, son odeur, sa silhouette, son visage, ses mains, ses gestes, ses mimiques, ses rituels, ses conseils…) pour réussir, dans un second temps, à intérioriser ce lien. Ainsi, en renonçant au lien qui l’unissait au défunt tel qu’elle l’a connu, la personne endeuillée peut accéder à une nouvelle façon d’être liée à lui ; il s’agit désormais d’un lien inaltérable et indéfectible puisqu’il est intériorisé. « Avec soulagement mais aussi avec lassitude – car ce travail est si long et si pénible -, j’apprends petit à petit à recréer en moi un autre type de relation avec toi : c’est parce que j’accepte de me confronter de plein fouet à la violence de ton absence que je peux, au fil du temps, te retrouver en un lieu, où je sais que plus jamais je ne te perdrai à nouveau ».
Faire son deuil revient alors à modifier sa relation à l’autre pour la faire persister, malgré l’absence.
« Il y a quelque chose de plus fort que la mort, c’est la présence des absents dans la mémoire des vivants ».[5]
[2] Baussant-Crenn, C. (2004) . Le deuil : aspects cliniques, théoriques, thérapeutiques. Dans Bercovitz, A. (dir.), Accompagner des personnes en deuil. ( p. 15 -37 ). Érès. https://doi.org/10.3917/eres.berco.2004.01.0015.
[3] Kübler-Ross, E. (1975). Les derniers instants de la vie, Genève : Labor et Fides.
[4] Fauré, C. (2018). Vivre le deuil au jour le jour (Ed. 2018),
[5] D’Ormesson, J. (1974). Discours de réception à l’Académie française du 6 juin 1974.
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